"Tu es allée jusqu'au bord extrême de l'audace …
Tu payes jusqu'à la lie un vrai combat mené par ton père"
(le Chœur, Kommos)
 
     
     
 

Antigone, Créon. Une mise à mort.
L’une sait, l’autre pas... Antigone a choisi avant le début de la tragédie… Créon, lui, passera sans les voir, les portes qui le mèneront à l’anéantissement total, au désastre.

La tragédie d'Antigone commence après la victoire de Thèbes contre l'armée d'Argos. Armée des Sept Chefs, soulevée par Polynice contre sa patrie, devant le refus de son frère Etéocle de lui rendre le pouvoir selon leur accord de régner alternativement un an chacun pour échapper à la triple malédiction que leur père Œdipe avait lancé contre eux. Mais la malédiction les rattrape, les deux frères s' embrochent mutuellement, lors des combats, et Créon, héritier légal, monte sur le trône.

Créon veut frapper un grand coup pour faire régner la paix et affirmer son pouvoir sur Thèbes, après une guerre civile fratricide, et,... sur ce qui reste de la famille du très vénéré Oedipe, c'est à dire ses deux filles Antigone et Ismène, d’autant plus que la première doit s’unir à son fils Hémon. L’interdiction, sous peine de mort, d’enterrer Polynice est une provocation pour les filles d’Oedipe, Antigone y répondra au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer, venant d’une femme. Antigone choisira la fidélité à sa lignée donc la mort, plutôt que l'union avec Hémon. Une mort dont l'impact sera d'autant plus puissant qu’elle la mettra pratiquement en scène.
On dit que Sophocle a inventé le dialogue et que ses tragédies sont représentatives de la démocratie athénienne par le débat qu'elles suscitent : le conflit ne se conçoit pas sans une critique du principe qui triomphe…
Antigone défend les liens du sang (du clan) contre les lois de la Cité, les lois des dieux contre les lois des hommes. Cette position n'est pas sans nous interroger… Le geste de la rebelle… mais pour quelles valeurs?
Créon joue les lois de la Cité contre celles des dieux, le roi de Thèbes apostrophe les dieux…une transgression… une subversion.. ?
Le Chœur compte les points… Ils ont, Chœur et Coryphée, le souci, la tâche de tempérer les excès des protagonistes, de protéger la Cité contre toute transgression des lois divines ou humaines. L'enjeu est de taille mais prudent…le Chœur s'exprime sur le mode du rébus, son langage est le plus souvent énigmatique cultivant un certain art de l'ambiguïté, l'art de ceux qui savent rester après les tempêtes…

 
     
     
 
 
 
 
 
 
     
     
     
     
       
 
 
       
     
       
     
 

Il y a une force tellurique des antagonismes dans la tragédie antique. Les caractères sont fermement installés dans leur camp, c’est la ligne de tension qui est déterminante. Les personnages ne font pas parler leurs sentiments, ils les investissent entièrement dans leurs actions.. Créon va trop loin dans son corps à corps avec le destin, trop loin par rapport à ce que lui permet objectivement sa position dans la Cité. C'est ce qu'a très bien compris son fils Hémon, humilié dans son amour contrarié et plus politicien que lui … La provocation vis à vis des filles d'Œdipe devient une provocation vis à vis d'Hémon et de sa descendance future, un aspect que Créon n'a pas su évaluer à sa juste mesure.

Il y a quelque chose de dru, de dense, d'essentiel et de nécessaire à faire partager au public dans l'affrontement tragique. D'où la nécessité d'un code théâtral à inventer, à construire. Pour moi tout tourne autour de la matière. En premier lieu la matière verbale. Le travail que je mène depuis plusieurs années m'a amené, je dirais presque à attaquer -tant la langue est dense- la matière verbale, la malaxant dans tous les souffles, toutes les vibrations, toutes les résonances de la profération, allant jusqu'au chant (exodos). Le dépassement que ce mode d'expression implique est pour moi, une des dimensions incontournables de la tragédie.
C'est dans la mise en regard de différents éléments que le spectacle prend corps : de la rocaille du texte dans la traduction de Jean et Mayotte Bollack à la transcendance du chant, de la stratégie des positions du chœur (traité comme un seul personnage, tel une hydre à plusieurs têtes, tel un orchestre : plusieurs instruments, un seul mouvement) qui tour à tour prudent, sadique, ébranlé, accusateur, indifférent, enserre, guette, cerne, observe, piége ou isole les personnages dans un espace d'affrontement délimité par la lumière, à la fluidité des costumes contemporains qui se déploient dans les grands mouvements, de l'intensité du regard, aux reflets cuivrés des visages, traces lointaines du masque antique …
Anne Petit

Antigone de Sophocle est publié aux Editions de Minuit dans une traduction de Jean et Mayotte Bollack

 
     
       
 
Mise en scène Anne Petit, assistant Eric Ginestet. Avec : Florence Bermond (Antigone),Bruno Cadillon (Créon), Natalia Cellier (Ismène / le Chœur),Pierre-Michel Dudan (le Garde / le Chœur), Nicole Gros (le Coryphée), Corinne Paccioni (Eurydice / le Chœur),Patrick Séguillon / Bruno Boulzaguet (Tirésias), Patrick Séguillon / Tuuka Vasama ( le Messager),Tazio Torrini (Hémon / le Chœur) et Guillaume Alexandre- Brault, Cécile Cadoux, Eric Ginestet, Katialyne Leprévost, Paolo Pilosio, Tuuka Vasama, Vanina Suavet (le Chœur), Timon Renucci / Ulysse Renucci (l'enfant). Costumes Anne-Marie Underdown , Erig Legoff, maquillage Solange Bovineau, lumière Robert Labar, composition musicale Nando Acquaviva, chant polyphonique, Santu Massiani, Nando Acquaviva, Noël Pardini.
   
       
 
Nouvelle version à partir de 9 comédiens
   
       
     
 
Création le 4 Août 2001 dans un champ brûlé par le soleil, face à la montagne, à l’orée des genévriers… au cours des 4èmes Rencontres de Théâtre dirigées par Robin Renucci en Haute-Corse (ARIA) qui intègrent ateliers de formation et spectacles.